mercredi 17 juin 2015

Pour la fête des père je me fais Speaker of the Dead: un portrait honnête de mon défunt père.


       Mon père était un homme d'une autre génération: celle pour qui "être un homme" se résumait aux trois grand "P"- procréer, pourvoir, punir. Pour le reste, l'épouse s'en chargeait.
  C'était un homme complètement perdu sans une femme à ses cotés. Mes frères, ma soeur et moi ainsi que sa troisième épouse garderons toujours en mémoire l'image de la maison à notre retour de vacances alors que papa avait du rester en ville pour des raisons professionnelles. Ou aurait cru qu'un ouragan s'était abattu  sur le logis: chemises sales trempant dans le bain (il ne savait pas où se trouvait la machine à laver ni même comment l'activer), des tonnes de vaisselles sales dans l'évier, sur la table et les comptoirs, des poubelles débordantes d'ordures, une chambre à coucher dans une pagaille indescriptible bref, l'image percutante d'un homme totalement dépourvu  sans sa douce moitié à ses cotés.
    C'était un homme droit, franchement honnête, intelligent, qui bouffait de la littérature comme un gamin se gave de bonbons. La maison croulait sous les livres et ont trouvait tout dans ses bibliothèques- sauf de la science pure. "Papa, tu as une copie de Mein Kampf, de Kant, de  Sartre, de Druon, de (insérez n'importe quel titre ou auteur ne traitant pas de science pure)?" La réponse était invariablement "Oui- là!" Il pouvait lire jusqu'à 6 livres simultanément- un chapitre ici, deux chapitres là- et son bureau était si bondé de livres qu'il devait les empiler en stalagmites sur le plancher de façon à ne devoir se départir d'aucun. Aller répondre au téléphone dans son bureau se transformait en slalom littéraire: swoosh passons les biographies, swoosh les romans nouveaux, swoosh le anthologies.... et gare à toi si faisais crouler une pile!
    Papa n'était pas un homme violent mais il avait été élevé dans la tradition de la punition physique pour les grands écarts. Si la faute dépassait la sphère de l' autorité  maternelle, alors il nous grondait, vertement puis se plantait au bas de l'escalier et nous décochait une solide claque derrière la tête lorsque nous passion devant lui en route vers nos chambres. Beaucoup plus turbulent que mes frères et ma soeur, j'ai eu droit très souvent à ces claques et ai vite appris à lever les épaules pour amoindrir l'impact. À sa défense, je dirai simplement ceci: elles étaient toutes *amplement* méritées!
   Papa était un grand meurtri, autant physiquement que psychologiquement. Sa mère- comme la mienne- décéda toute jeune et son père l'abandonna volontiers, lui et sa soeur, aux bons soins de trois bigotes pleines d'intentions charitables mais d'une austérité exemplaire pendant cette Grande Dépression. Souvent, on l'endimanchait et l'assoyait sur une chaise avec ces mots "Reste propre- ton père vient te visiter". Mais il ne venait jamais, trouvait toujours une excuse, si il en donnait une. Papa aura gardé une cicatrice profonde de cet abandon paternel et la seule fois ou nous avons abordé ensemble le sujet du grand-père, 50 ans plus tard, il crachait presque les mots durs à son endroit. La perte de ses deux parents serait-elle le catalyseur de son alcoolisme et de ses dépressions chroniques?  On ne le saura jamais. Une chose est certaine- sa tendre enfance fut traumatisante et sa relation avec son propre père, un enfer.
    L'absence de père dans sa vie explique peut-être pourquoi il communiquait si peu avec ses propres enfants. Il ne savait pas comment. Lui, pourtant un grand orateur publique, se transformait en tortue à la maison- replié derrière la carapace de ses livres, de sa télévision, de ses journaux. Jeunes, il nous grondait quand il avait à le faire. Ce n'est qu'une fois adulte que j'ai pu avoir quelques conversations édifiantes avec lui. Sinon, rien. Sa colostomie l'empêchait de pouvoir jouer avec nous; son tempérament "3 P" ne l'avait pas éduqué à le faire et son amour inconditionnel pour la lecture et l'écriture l'embarrait loin de nous- le piaillement de jeunes enfants n'étant pas conductif à ces activités.  Ô, combien de fois avons-nous eu droit à de longs soupirs exaspérés ou un "Ahhhh!" explosif  quand nous interrompions sa lecture d'un rire soudain, d'un cri enjoué ou d'un bruit sec?
    En tant que pourvoyeur, papa emporte la palme! Nous n'avons jamais- jamais!- manqué de rien. L'arbre de Noël touchait à peine terre tant il y avait de cadeaux sous ses branches. Fidèle à son éducation, mon père s'assura toujours que ses enfants ne soient jamais dans le besoin: nourriture, vêtements, collèges privés, livres, jouets, skis, bicyclettes, argent de poche - il ne vacilla jamais sur ce point. Cela faisait partie intégrante de son éducation, de son identité de père. Pourvoir au bien-être de ses enfants faisait tellement partie de son identité d'homme qu'il nous était même possible, après avoir épuisé nos généreuses allocations hebdomadaires, d'aller lui soutirer quelques billets de plus pour X, Y ou Z raison. Il était pathologiquement incapable de dire non à un besoin exprimé par sa progéniture.
  Sa relation avec l'argent était des plus étrange: il s'en fichait! "Money is not a gentleman's concern!" était son expression favorite et je suis un témoin (honteux) de sa véracité. Je pouvais lui piquer 20,40- 100 dollars!!!! (en 1979!) et il ne s'en rendait même pas compte! Il achetait livres et CD sur un coup tête, utilisait un peu puis nous remplissait un sac et disait "Va me vendre ça à l'Échange!" - perdant du coup 20, 30 dollars sur chaque achat. Une chance que sa troisième épouse avait une tête pour les finances!
   Et cette insouciance pour l'argent- lui, enfant de la Grande Dépression, des billets de rationnement, du sucre et de la farine tirés de la cave à coup de mesure extra rases- ne date pas de son succès professionnel. Elle l'a toujours habitée, étrangement. Lorsque les 3 bigotes l'envoyèrent en France pour étudier à la Sorbonne, certaines d'avoir inculqué en lui, par exemple autant que par discours, une prudente frugalité- nulle n'y repensa à deux fois avant de l'investir de la totalité de la somme requise, certaines qu'il la gérerait  avec prudence et austérité.
   Quelle erreur!
   À peine débarqué à Paris, papa fit la tournée des grands ducs, louant calèche et cocher pour la journée, passant de zinc en zinc, de terrasse en café,  invitant à son bord toute jeune et jolie demoiselles daignant bien le joindre pour un drink, Il fait maintenant partie de la mémoire familiale la fin grandiose de cette unique journée: mon père, à 3 heures du matin, maintenant  au volant de la calèche, le cocher saoul mort en arrière, fouettant les chevaux et criant "Heeya-Heeya!"pour un ultime grand galop alors que la voiture pénètre dans les Champs Élysées. Bourse étude- di*la*pi*dée sur les belles demoiselles, l'alcool et les grands gestes "gentleman" !
   Ça ne s'invente pas ces choses là. C'est mon papa :)
   De cet homme je retiens quelques leçons bien senties.
  1) La langue française est belle et complexe. Apprends-la, contrôles-la et utilises-la. Et si tu fais des erreurs; que ce soit en syntaxe, en grammaire, en orthographe ou en conjugaison, dits-toi que les plus grands écrivains de ce monde gardent toujours un dictionnaire à leur portée.
  2) On ne frappe *jamais* une femme, même avec une rose.
  3) Si tu mets un enfant au monde, assures-toi toujours qu'il ne manque de rien- c'est ton devoir d'homme.
  4) Le juron est comme l'épée- plus tu l'utilise, moins il tranche.
   Papa s'est suicidé il y a trente ans. Non pas à cause de ses dépressions chroniques  pour lesquelles il devait suivre un  régiment sévère d'anti-dépresseurs puissants mais bien parce que son docteur venait de le diagnostiquer d'un cancer à l'anus- lui qui avait passé sa vie collé à un sac récoltant ses
 excréments (colostomie).
  Papa détestait les hôpitaux, y ayant passé une trop grande partie de sa jeunesse.
  Il ne souhaitait pas mourir dans un endroit froid, impersonnel et bureaucratique. Il préféra Mozart, son lit et ses deux chiens. Sa pharmacie recelait plus de médicaments qu'il n'en avait besoin. Il était Chrétien et croyant- j'espère que Dieu ne lui tient pas trop rigueur de ce choix.
  Imparfait. Dépressif. Alcoolique. Gauche avec ses enfants. Distant quoique toujours présent. Pourvoyeur extraordinaire. Grand écrivain. Grand lecteur, amoureux de sa langue maternelle. Homme meurtri, blessé et pourfendu par la vie.  Homme d'honneur et d'intégrité.
 Papa. 
  Tu n'es plus avec nous depuis des décennies mais je pleure comme une Madeleine en terminant ce texte, ta mémoire trop forte pour mon machisme déplacé.  Comme quoi un garçon n'oublie jamais son père, tout imparfait et humain soit-il :)
  Tu me manques!
  Dans l'espoir que cette fête des pères donne naissance à plus de témoignages du genre.,,
  Bonne fête et merci à tous les papas du monde qui ont jugé apte et bien d'exister dans la vie de leurs enfants!
  Bonne fête des pères.

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