mardi 23 juin 2015

A quand le droit au choix universel? (édité)

                       À quand le Droit au Choix Universel?

La philosophie de base des humanistes est simple : inclure tous les êtres humains, peu importe leur race, leur genre, leur âge, leur affiliation politique ou religieuse, leur orientation sexuelle ou leur handicap dans un cadre de reconnaissance culturelle et légale respectueux de leur identité propre.
       C’est aussi, nous assurent-on,  la base du mouvement féministe : créer une société juste et équitable pour tous, où hommes et femmes seront soumis à une justice aveugle qui ne tiendra pas compte de leur genre.
  C’est à ce mouvement- le féminisme- que nous devons la création du « petit dernier » en matière de droits fondamentaux (ou droits cardinaux, pour les puristes) : Le Droit au Choix.  Droit que nous pouvons décrire comme suit : « la liberté de choisir par soi-même, sans interférence  de la Loi, de la Religion ou du Partenaire, si nous souhaitons ou non être responsable d’une nouvelle vie humaine. »
     Ce droit aura suscité des torrents de débats et soulevé un raz-de-marée de polémiques et le but du présent billet n’est certes pas de repartir la valse pro-choix/pro-vie une énième fois. Je pars du principe que la société québécoise est pro-choix,  que c’est un droit acquit et inaliénable (pour autant qu’un droit soit inaliénable) et que le lecteur du présent billet est relativement bien informé sur les tenants et les aboutissants dudit Droit.
    Voici donc ma question : sachant que l’égalité homme-femme est un principe cher aux humanistes autant qu’aux féministes; que cette égalité tire sa base dans un système légal aveugle et que le Droit au Choix constitue un droit cardinal- un droit dont la disparition ou l’absence influencerait grandement la qualité de vie- à quand le Droit au Choix pour les hommes, le DAC Universel?
      Il faut tout de suite préciser ceci, car c’est la première embûche rencontrée dans *toutes* les discussions que j’ai eues sur le sujet : il n’est nullement question d’abroger, d’altérer ou de diminuer de quelque façon que ce soit le droit des femmes à gérer leur propre corps et leur propre vie mais simplement d’étendre aux hommes cette même liberté.
   À la base, une telle requête ne devrait rencontrer aucune forme d’opposition, hormis l’inévitable opposition des groupes pro-vie, puisque nous sommes tous pour l’égalité homme-femme.  Or voilà, les plus grands détracteur(e)s du DACU sont des féministes- ce même groupe clamant haut et fort que le fait d’attribuer des droits selon les genres constitue un crime contre l’Humanité!
  On me dit  « Non, non, non! Le DAC, c’est un droit de femme! »  Comme si le féminisme ne se battait pas bec et ongle pour faire abolir les droits liés au genre! Comme si  notre société ne reconnaissait pas uniquement les  droits de la personne. Un droit de femme n’est pas plus moral ou souhaitable qu’un droit d’homme, de Noir ou de Juif. Pourquoi alors me sort-on cet argument irraisonnable lorsque vient le temps d’étendre le DAC aux hommes?
 On me répète que « t’avais qu’à faire un nœud dedans si tu ne voulais pas la mettre enceinte ». De la part de féministes, admettons qu’elle est culottée celle-là! N’est-ce pas *exactement* ce que les prêtres de l’Église Catholique Romaine répondaient aux pro-choix quand ils militaient pour le DAC: « si tu ne voulais pas tomber enceinte, t’avais qu’à te garder les genoux serrés ma fille! »??? D’entendre aujourd’hui des féministes utiliser exactement les mêmes argumentaires que les prêtres pour me bloquer l’accès à un droit cardinal me ferait rire si ce n’était un aussi tragique exemple de dissonance cognitive.

On me répète ad nauseam que le DACU rendrait les hommes encore plus irresponsables! Encore une fois, un tel commentaire émanant d’un mouvement qui s’insurgeait des stéréotypes dégradants entourant la gent féminine, on ne s’attendrait pas à un tel cachalot de misandrie qu’est « Tous les hommes sont des créatures naturellement irresponsables! Les inclure dans le DAC ne les rendrait que plus irresponsables encore! »
   Il n’y a pas, ou si peu, de discussion politique au sujet du DACU. Ce sujet est persona non grata, comme si l’exclusion de la moitié de la population d’un droit cardinal ne constituait pas un sujet de débat assez important pour la classe politique. Les rares fois où une personnalité politique commente la chose, on comprend pourquoi un tel silence radio entoure la question. Lorsqu’interrogée sur le sujet, la sénatrice Céline Hervieux-Payette a répondu par la négative: « Le DAC pour les hommes enlèverait du pouvoir aux femmes. »
  Et voilà- le chat est sorti du sac. Ce n’est pas une question de justice, de droit, de moralité sociale ou d’équité : c’est une question de pouvoir! On ne veut pas que les hommes aient accès au DAC parce qu’on ne veut pas qu’ils aient le pouvoir de décider pour eux-mêmes. Et la raison pour laquelle il n’y a aucun débat réel sur la question est toute simple : la position féministe actuelle d’exclusion des hommes est tout simplement insoutenable et s’écroulerait au premier débat public.
    En effet, dans une société démocratique, nous *souhaitons* que le pouvoir soit dilué entre tous et non  qu’il réside entre les mains d’une élite. Accepterions-nous un argumentaire visant à exclure les femmes du droit de vote sous prétexte que « ça enlèverait du pouvoir aux hommes »? Bien-sûr que non! Chacun a voix au chapitre, que ce soit en politique ou dans sa propre vie. Quelqu’un comme la sénatrice ne peux prétendre ne pas comprendre ce principe élémentaire de Démocratie.  
   Derrière les beaux discours égalitaires et respectueux se terre une mauvaise foi évidente. On préfère que l’homme soit impuissant. Qu’on puisse lui voler son sperme et s’auto-inséminer contre son gré; se garder le pouvoir de percer son condom et transformer son « non » en « oui »-encore une fois, contre son gré. On préfère pouvoir lui enfoncer une grossesse non-désirée dans la gorge et ainsi le frauder de plusieurs dizaines, voire de centaines, de milliers de dollars sans qu’il ait le moindre recours contre cette imposture. Sans DACU, il est possible (et courant) de traiter l’homme comme un esclave dans un champ de coton- de l’obliger à transférer le fruit de son labeur dans les poches d’autrui sans son consentement.
      Ce serait pourtant si facile et peu coûteux à l’État d’étendre ce droit cardinal aux hommes. Si, en supposant un choix positive de la femme, le géniteur signe l’acte de naissance, alors il accepte la responsabilité de cette nouvelle vie et avec elle tous les droits parentaux s’y rattachant. S’il ne le signe pas, il signifie son refus et décline tout droit et toute responsabilité, à tout jamais.  Chaque partie aura fait le choix qui lui convient sans que quiconque puisse assumer le rôle de dictateur.
   Là nous pourrions dire que nous existons dans une société véritablement égalitaire et non dans sa parodie hypocrite qui carbure au silence et à la mauvaise foi.
  L’homme aussi à droit d’aspirer à une vie sexuelle saine et équilibrée sans constamment vivre dans la terreur de sa fertilité- d’autant plus qu’il est fertile beaucoup plus longtemps qu’une femme.
 L’homme aussi souffrira financièrement d’une grossesse non-désirée.
 L’homme aussi à droit de demander à sa société de le protéger contre les fraudeurs.
  L’homme aussi à droit à la paix d’esprit et la qualité de vie qui s’associe à  la certitude que personne- ni l’État, ni la Religion ni la Partenaire- n’aura droit de substituer leur volonté à la sienne, de leur dicter unilatéralement le cours que suivra leur vie.
  Je repose donc une ultime fois la question : Si nous croyions vraiment que l’égalité entre tous est un but louable et noble, pourquoi diable tarde-t-on tant à étendre aux hommes ce droit cardinal qu’est le DAC?
  Serait-on… de mauvaise foi?   

lundi 22 juin 2015

Le Harem Démocratique

                         « Lorsqu’il y a amour, il y a responsabilité »

C’est avec cette note explicative que la Cour d'Appel du Québec permit à la célèbre cause de Lola VS Éric d’être entendue par la Cour Suprême du Canada : Lorsqu’il y a amour, il y a responsabilité!
L'inénarrable Anne-France Goldwater

            Bien de l’encre aura coulé au sujet de ce milliardaire et de sa conjointe de fait lui réclamant des sommes astronomiques suite à la dissolution de leur union. Très peu, cependant, au sujet de cette déclaration pour le moins étonnante de notre Cour d'Appel.  Au fort de la tempête médiatique, cette remarque aura passé inaperçue mais il serait bon d’y revenir, ne serait-ce que pour mieux saisir la pensée de ceux et celles qui régissent nos sociétés : nos juges.
     Cette phrase, en apparence toute simple, est repue de pièges, aussi est-il absolument nécessaire d’analyser son contenu sémantique dans le contexte dans lequel elle a été professée- une requête en dédommagement financier pour une ex-conjointe.
     En effet, l’amour dont parlent ici les trois juges n’est pas l’amour qu’un frère éprouve pour sa mère, sa sœur ou son père  ni l’amour d’une grand-mère envers ses petits-enfants ou l’amour profond qui unit des amis se connaissant depuis un demi-siècle. Pis encore, il n'est pas non plus question ci d’amour romantique car la Cour d'Appel n’a aucun moyen de savoir si Éric et Lola s’aimaient de cette façon. Il était milliardaire, elle était mannequin- ce n’était peut-être qu’un arrangement satisfaisant pour les deux. Ce que la Cour sait, hors de tout doute, c’est qu'Éric et Lola ont connu un amour charnel car trois enfants sont issus de cette relation.
Saga Lola VS Éric- un cirque!

     Et puisque la requête qu’ils doivent administrer en est une de compensation financière, il ne peut faire aucun doute que l’utilisation du mot « responsabilité » pour donner aval à cette cause en est une de responsabilité financière.  (Notons ici, afin que tout soit clair, que les enfants du couple sont déjà largement compensés par le père en pensions alimentaires d’une largesse étourdissante de l’ordre de plusieurs dizaines de millier de dollars par mois. La cause n’est pas à propos d’eux mais bien à propos de Madame.)
  La Cour d'Appel nous livre donc cette stupéfiante affirmation : « Lorsqu’il y a amour charnel, il y a responsabilité financière »
    Qu’est-ce à dire? Que, dans la pensée de nos juges,  toutes les conjointes, les blondes, les one-night-stand du Québec sont maintenant des prostituées légales et que nous, les hommes,  sommes leur *clients*??? Que les plus hautes instances juridiques considèrent normal  et moral que si j’ai couché avec madame je doive maintenant la payer?!? 
     Il est difficile- voire impossible- de ne pas tirer pareilles conclusions des commentaires issus de la Cour d'Appel car, souvenons-nous, les enfants du couple sont *déjà* traités comme des rois. Lola VS Éric est à propos de Lola VS Éric et personne d'autre.  « Tu l’as aimée, tu es responsable financièrement » nous disent nos hauts légistes. Quelle autre conclusion pouvons-nous raisonnablement tirer de leur discours sur l'amour et la responsabilité qu'il génère? Que des petits-enfants pourraient forcer leur grand-mère à payer leurs études? Que si mon frère que j'aime tant se retrouve sur la paille, je suis légalement responsable de son bien-être financier? 
    Bien-sur que non. Le cauchemar légal qui découlerait d'une telle interdépendance financière entre tous les humains qui s'aiment relèverait plus du capharnaum que de l'ordre.   Force nous est d'admettre qu'aux yeux de la Cour d'Appel,  les hommes hétérosexuels sont des clients qui doivent compenser financièrement toute femme avec qui ils ont des échanges sexuels.
    Est-ce vraiment là où nous sommes rendus, en tant que société? Un monde où toute femme est perçue et traitée, par son propre gouvernement et ses cours de loi,  comme une prostituée et l’homme, un  John ? Une société où l’acte le plus beau, le plus simple et  le plus naturel au monde, entre deux adultes consentants, doit être rabaissé au statut d’échange mercantile, de contrat?
Combien?

    Il me vient soudainement à l’esprit l’image rebutante du harem démocratique: une image distordue des valeurs islamistes, version québécoise, comme on en voit au cirque dans le palais des miroirs.  
 Alors que nous nous déchirons la chemise à propos des Islamistes qui traitent leurs femmes comme des vaches, chaque homme pouvant posséder son troupeau, petit ou grand selon sa fortune, voilà que nos propres juges ouvrent la porte à une sorte de harem  post-coital- une société où l'homme traînera à sa charge un cheptel qu'il devra supporter financièrement  car si il y a de l'amour charnel, il y a responsabilité » 
   Honnêtement, la différence entre le harem musulman et le harem d'ex suggéré par la Cour d' Appel avec ses propos pour le moins louches n'a d'épaisseur que celle d'une peau d'oignon. Dans les deux cas les femmes ne sont ni perçues ni traitées comme des entités humaines pleinement capables de gérer elle-mêmes leurs propres choix, leur propre vie. Dans les deux cas, elles sont traitées comme des employées du mâle- dépendantes de lui pour leur survie: de pauvres petites choses que l'homme tout-puissant doit gérer.    
 L'image de l'homme et de sa sexualité qui nous est renvoyé via ce tortueux raisonnement n'est guère plus reluisante. Il est client- sa vie sexuelle doit maintenant s'établir non pas sur les bases d'une vie saine et équilibrée mais sur sa capacité à générer du revenu. Plus il est pauvre, moins il pourra aimer. Pis encore, en le traitant de la sorte, on lui indique clairement qu'il vaut moins que sa partenaire; que celle-ci s'abaisse en couchant avec lui, lui fait une faveur, et que ce travail abaissant mérite compensation.  
   Par cette simple phrase, et tout ce qu'elle sous-entend de sexisme, de stéréotypes dégradants, de victimisation caduque, d'enchaînement nouveau et de rôles sociaux des genres qui relèvent de l'époque médiévale,  la Cour d'Appel du Québec a larguée sur notre sol une bombe que nous nous devons de désamorcer. 
  Les femmes ne sont pas des catins. Les hommes ne sont pas des John. Et l'État-bonbon, même animé des meilleures intentions du monde envers les femmes, ne doit jamais se transformer en État-Proxénète. 
  L'amour entre deux êtres consentants appartient aux amants. Il est gratuit, donné librement et sciemment. Que la Loi et l'Ordre reste en dehors de leur chambre à coucher.
  
Roméo! Juliette!

mercredi 17 juin 2015

Pour la fête des père je me fais Speaker of the Dead: un portrait honnête de mon défunt père.


       Mon père était un homme d'une autre génération: celle pour qui "être un homme" se résumait aux trois grand "P"- procréer, pourvoir, punir. Pour le reste, l'épouse s'en chargeait.
  C'était un homme complètement perdu sans une femme à ses cotés. Mes frères, ma soeur et moi ainsi que sa troisième épouse garderons toujours en mémoire l'image de la maison à notre retour de vacances alors que papa avait du rester en ville pour des raisons professionnelles. Ou aurait cru qu'un ouragan s'était abattu  sur le logis: chemises sales trempant dans le bain (il ne savait pas où se trouvait la machine à laver ni même comment l'activer), des tonnes de vaisselles sales dans l'évier, sur la table et les comptoirs, des poubelles débordantes d'ordures, une chambre à coucher dans une pagaille indescriptible bref, l'image percutante d'un homme totalement dépourvu  sans sa douce moitié à ses cotés.
    C'était un homme droit, franchement honnête, intelligent, qui bouffait de la littérature comme un gamin se gave de bonbons. La maison croulait sous les livres et ont trouvait tout dans ses bibliothèques- sauf de la science pure. "Papa, tu as une copie de Mein Kampf, de Kant, de  Sartre, de Druon, de (insérez n'importe quel titre ou auteur ne traitant pas de science pure)?" La réponse était invariablement "Oui- là!" Il pouvait lire jusqu'à 6 livres simultanément- un chapitre ici, deux chapitres là- et son bureau était si bondé de livres qu'il devait les empiler en stalagmites sur le plancher de façon à ne devoir se départir d'aucun. Aller répondre au téléphone dans son bureau se transformait en slalom littéraire: swoosh passons les biographies, swoosh les romans nouveaux, swoosh le anthologies.... et gare à toi si faisais crouler une pile!
    Papa n'était pas un homme violent mais il avait été élevé dans la tradition de la punition physique pour les grands écarts. Si la faute dépassait la sphère de l' autorité  maternelle, alors il nous grondait, vertement puis se plantait au bas de l'escalier et nous décochait une solide claque derrière la tête lorsque nous passion devant lui en route vers nos chambres. Beaucoup plus turbulent que mes frères et ma soeur, j'ai eu droit très souvent à ces claques et ai vite appris à lever les épaules pour amoindrir l'impact. À sa défense, je dirai simplement ceci: elles étaient toutes *amplement* méritées!
   Papa était un grand meurtri, autant physiquement que psychologiquement. Sa mère- comme la mienne- décéda toute jeune et son père l'abandonna volontiers, lui et sa soeur, aux bons soins de trois bigotes pleines d'intentions charitables mais d'une austérité exemplaire pendant cette Grande Dépression. Souvent, on l'endimanchait et l'assoyait sur une chaise avec ces mots "Reste propre- ton père vient te visiter". Mais il ne venait jamais, trouvait toujours une excuse, si il en donnait une. Papa aura gardé une cicatrice profonde de cet abandon paternel et la seule fois ou nous avons abordé ensemble le sujet du grand-père, 50 ans plus tard, il crachait presque les mots durs à son endroit. La perte de ses deux parents serait-elle le catalyseur de son alcoolisme et de ses dépressions chroniques?  On ne le saura jamais. Une chose est certaine- sa tendre enfance fut traumatisante et sa relation avec son propre père, un enfer.
    L'absence de père dans sa vie explique peut-être pourquoi il communiquait si peu avec ses propres enfants. Il ne savait pas comment. Lui, pourtant un grand orateur publique, se transformait en tortue à la maison- replié derrière la carapace de ses livres, de sa télévision, de ses journaux. Jeunes, il nous grondait quand il avait à le faire. Ce n'est qu'une fois adulte que j'ai pu avoir quelques conversations édifiantes avec lui. Sinon, rien. Sa colostomie l'empêchait de pouvoir jouer avec nous; son tempérament "3 P" ne l'avait pas éduqué à le faire et son amour inconditionnel pour la lecture et l'écriture l'embarrait loin de nous- le piaillement de jeunes enfants n'étant pas conductif à ces activités.  Ô, combien de fois avons-nous eu droit à de longs soupirs exaspérés ou un "Ahhhh!" explosif  quand nous interrompions sa lecture d'un rire soudain, d'un cri enjoué ou d'un bruit sec?
    En tant que pourvoyeur, papa emporte la palme! Nous n'avons jamais- jamais!- manqué de rien. L'arbre de Noël touchait à peine terre tant il y avait de cadeaux sous ses branches. Fidèle à son éducation, mon père s'assura toujours que ses enfants ne soient jamais dans le besoin: nourriture, vêtements, collèges privés, livres, jouets, skis, bicyclettes, argent de poche - il ne vacilla jamais sur ce point. Cela faisait partie intégrante de son éducation, de son identité de père. Pourvoir au bien-être de ses enfants faisait tellement partie de son identité d'homme qu'il nous était même possible, après avoir épuisé nos généreuses allocations hebdomadaires, d'aller lui soutirer quelques billets de plus pour X, Y ou Z raison. Il était pathologiquement incapable de dire non à un besoin exprimé par sa progéniture.
  Sa relation avec l'argent était des plus étrange: il s'en fichait! "Money is not a gentleman's concern!" était son expression favorite et je suis un témoin (honteux) de sa véracité. Je pouvais lui piquer 20,40- 100 dollars!!!! (en 1979!) et il ne s'en rendait même pas compte! Il achetait livres et CD sur un coup tête, utilisait un peu puis nous remplissait un sac et disait "Va me vendre ça à l'Échange!" - perdant du coup 20, 30 dollars sur chaque achat. Une chance que sa troisième épouse avait une tête pour les finances!
   Et cette insouciance pour l'argent- lui, enfant de la Grande Dépression, des billets de rationnement, du sucre et de la farine tirés de la cave à coup de mesure extra rases- ne date pas de son succès professionnel. Elle l'a toujours habitée, étrangement. Lorsque les 3 bigotes l'envoyèrent en France pour étudier à la Sorbonne, certaines d'avoir inculqué en lui, par exemple autant que par discours, une prudente frugalité- nulle n'y repensa à deux fois avant de l'investir de la totalité de la somme requise, certaines qu'il la gérerait  avec prudence et austérité.
   Quelle erreur!
   À peine débarqué à Paris, papa fit la tournée des grands ducs, louant calèche et cocher pour la journée, passant de zinc en zinc, de terrasse en café,  invitant à son bord toute jeune et jolie demoiselles daignant bien le joindre pour un drink, Il fait maintenant partie de la mémoire familiale la fin grandiose de cette unique journée: mon père, à 3 heures du matin, maintenant  au volant de la calèche, le cocher saoul mort en arrière, fouettant les chevaux et criant "Heeya-Heeya!"pour un ultime grand galop alors que la voiture pénètre dans les Champs Élysées. Bourse étude- di*la*pi*dée sur les belles demoiselles, l'alcool et les grands gestes "gentleman" !
   Ça ne s'invente pas ces choses là. C'est mon papa :)
   De cet homme je retiens quelques leçons bien senties.
  1) La langue française est belle et complexe. Apprends-la, contrôles-la et utilises-la. Et si tu fais des erreurs; que ce soit en syntaxe, en grammaire, en orthographe ou en conjugaison, dits-toi que les plus grands écrivains de ce monde gardent toujours un dictionnaire à leur portée.
  2) On ne frappe *jamais* une femme, même avec une rose.
  3) Si tu mets un enfant au monde, assures-toi toujours qu'il ne manque de rien- c'est ton devoir d'homme.
  4) Le juron est comme l'épée- plus tu l'utilise, moins il tranche.
   Papa s'est suicidé il y a trente ans. Non pas à cause de ses dépressions chroniques  pour lesquelles il devait suivre un  régiment sévère d'anti-dépresseurs puissants mais bien parce que son docteur venait de le diagnostiquer d'un cancer à l'anus- lui qui avait passé sa vie collé à un sac récoltant ses
 excréments (colostomie).
  Papa détestait les hôpitaux, y ayant passé une trop grande partie de sa jeunesse.
  Il ne souhaitait pas mourir dans un endroit froid, impersonnel et bureaucratique. Il préféra Mozart, son lit et ses deux chiens. Sa pharmacie recelait plus de médicaments qu'il n'en avait besoin. Il était Chrétien et croyant- j'espère que Dieu ne lui tient pas trop rigueur de ce choix.
  Imparfait. Dépressif. Alcoolique. Gauche avec ses enfants. Distant quoique toujours présent. Pourvoyeur extraordinaire. Grand écrivain. Grand lecteur, amoureux de sa langue maternelle. Homme meurtri, blessé et pourfendu par la vie.  Homme d'honneur et d'intégrité.
 Papa. 
  Tu n'es plus avec nous depuis des décennies mais je pleure comme une Madeleine en terminant ce texte, ta mémoire trop forte pour mon machisme déplacé.  Comme quoi un garçon n'oublie jamais son père, tout imparfait et humain soit-il :)
  Tu me manques!
  Dans l'espoir que cette fête des pères donne naissance à plus de témoignages du genre.,,
  Bonne fête et merci à tous les papas du monde qui ont jugé apte et bien d'exister dans la vie de leurs enfants!
  Bonne fête des pères.

mardi 16 juin 2015


                    Je voudrais être une femme. Juste une fois. Pour me la couler douce.

    Je voudrais être une femme. Juste une fois. Pour me la couler douce. Pour n'avoir qu' à battre un peu des cils pour me faire payer mon souper, mes consommations, mon cinéma ou mon théâtre et de n'avoir aucune contrainte à rembourser toute cette largesse.
    Je voudrais être une femme. Juste pour une nuit, histoire de pouvoir faire l'amour en toute quiétude de l'âme, sans toujours devoir craindre ma fertilité. En sachant que même si le prophylactique se déchire et que je tombe enceinte, personne- ni la Loi, ni la religion, ni le géniteur- n'aura le droit de m'obliger à mener à terme et m'enfoncer dans la gorge la responsabilité d'une nouvelle vie contre mon gré. C'est bon l'amour. Ça à l'air bien de pouvoir baiser tranquille, sans souci- pouvoir s'abandonner complètement au moment sans arrière-pensée, sans anxiété. Si seulement j'étais une femme...
   Je voudrais tant être une femme pour ce jour où mon estime de moi n'est pas à son zénith et de n'avoir qu'à ouvrir mon téléviseur pour me faire dire et répéter à quel point je suis belle, forte, capable et battante, simplement parce que je suis femme. Une thérapie journalière et gratuite, à la portée de mon doigt nacré. Ou pour cet autre jour où je suis en difficulté et qu'un simple coup de téléphone m'ouvrira cinq, dix, vingt points d'aide où sympathie et épaulement y sont à tout coups assurés.
  J'aimerais beaucoup être une femme le jour où mon gouvernement, en ces temps troubles de guerres et de terrorisme, enverra aux hommes leur obligation de service militaire. Quel sérénité connaîtrai-je alors, sachant que je demeurerai à l'abri des tranchées, des obus, des corps-à-corps sanglant et du fog of war capable de me faire tuer mes amis, mes alliés. Quelle profonde ataraxie serait mienne sachant que servir sa Patrie, c'est pour les autres. Que jamais on ne m'obligera à mourir pour elle et que jusqu'à mon dernier souffle, vieille dame, j' aurai profité au maximum de ma Nation a de mieux à offrir sans jamais avoir eu à payer le prix ultime pour mes libertés.
  Ô, comme je souhaiterais être une femme. Juste un jour. Pour toutes ces portes qu'on m'ouvrira, ces sièges qu'on m'offrira, ces commentaires flatteurs qu'on passera au sujet de mes yeux, mes cheveux, mon sourire, ma beauté.  Ca fait du bien des compliments. Ca réchauffe le coeur. J'aimerais bien être une femme, juste un jour, histoire de  m'abreuver de cela.
    J'aimerais bien être une femme. Je pourrais m'habiller à tous les rayons, porter des vêtements d'hommes, de femmes et même d'enfants sans qu'on y trouve à redire; sans que quiconque me reluque comme un pervers ou me fasse comprendre que je suis un dégénéré.
     Juste une journée. J'aimerais tant être femme. Pour me la couler douce dans un parc à observer les enfants jouer sans craindre l'inévitable auto-patrouille qui viendra me contrôler, me dire de circuler.
 C'est beaux les enfants. Leurs jeux sont si innocents, leur gaieté si spontanée. J'aimerais bien pouvoir les regarder sans me faire harceler.
  j'aimerais tant être une femme.
    Pour ce jour où je n'aurai rien à craindre de la police si quelqu'un  m'accuse d'un crime sans la moindre preuve.
    Pour ce jour où je n'aurais pas à craindre la justice après avoir commis un meurtre, certaine qu'on blâmera mes hormones, mon enfance terrible ou un partenaire sanguin plutôt que moi.
Pour ce jour où je détruirai mon union, fautive ou non, mais certaine d'emporter avec moi mes enfants et la part du lion.
  Ah oui! J'aimerais bien être femme et enfin connaitre la paix d'esprit qui vient avec toutes ces libertés, ces choix et ces privilèges.